NOTES DE VOYAGE
Short film – 18’52 – 2016
Director Chao Liang
Composer Léonore Mercier
Producteur – Le Fresnoy
Il y a des œuvres dont on ne peut parler. Labyrinthiques, elles défient l’analyse. Songeons à certaines pièces de Debussy, et nombre de chefs d’œuvre de l’histoire de la musique (je ne me risquerai pas ici à empiéter sur l’histoire de l’art en général, cependant la résistance à l’analyse de quelques œuvres plastiques majeures me semble évidente). Les mots que l’on risque, afin de tenter de cerner ces objets, semblent vite se désagréger, partir en fumée après avoir offert une première illusion de clarté, même tenace. Pourtant ces labyrinthes continuent d’attirer la curiosité analytique et des vies s’y consacrent. Il est bon de penser que certains objets puissent rester éternellement inaccessibles, autrement que par une contemplation fascinante qui est certainement aussi un cheminement en soi. Je ne sais si l’œuvre de Chao Liang entre dans cette « catégorie », mais elle se présente en une étrangeté qui agite nos liens à l’histoire, à nos sens, à notre sens commun, et brouille nos pauvres repères accumulés. Elle évoque l’invention d’une technique et d’un art, mais en négatif en quelque sorte, dans le but secret de nous laisser seul, nu face à ce que pense le monde des savants, dont peut-être nous imaginions être parfois. Il y a aussi l’évocation d’une œuvre – ou d’un acteur- majeure de l’histoire qui serait passée inaperçue (comme il en existe très certainement, tant certains tempéraments défiant par volonté ou par hasard les jeux sociaux communs existeront toujours). Ce brouillage salutaire, qui, en creux, semble observer ou questionner l’intérêt de nombre d’œuvres d’aujourd’hui (ou d’hier) à la lumière d’une fiction excentrique, est profondément réjouissant. Il nous indique que notre pente naturelle est d’être prisonnier d’un présent à la puissance anesthésiante, obstacle à la pensée, à la création, à la vie. Chao Liang nous offre un regard tout à la fois rare et universel, et nous incite à l’effort.
Arnaud Petit (18 Avril 2016)
Some works are impossible to talk about. They are labyrinthine and defy analysis. Consider certain pieces by Debussy and many other masterpieces from the history of music (I shall not venture onto the terrain of the history of art in general, but to me it seems obvious that a number of major visual artworks resist analysis). The words we try in an effort to define these objects soon seem to fall apart, to go up in smoke after offering a first illusion of clarity, however tenacious they seem. But still these labyrinths continue to attract analytic curiosity and lives continue to be spent on them. It is good to think that some objects remain eternally inaccessible, that all we can have is a fascinating contemplation, which is no doubt also a path of self-discovery. I do not know whether the work by Chao Liang belongs in this category, but it is presented in a strangeness that agitates our relation to history, to our senses, to our common sense, and upsets the poor applecart of accumulated certainties. It evokes the invention of a technique and of an art, but as a kind of negative, with the secret goal of leaving us alone, naked before what is thought by the world of scholars to which we may sometimes imagine we belong. There is also the evocation of a major historical oeuvre, or actor that appears to have gone unnoticed (as must certainly happen, for there will always be those strong temperaments who deliberately or accidently opt out of the usual social games). This salutary scrambling which, implicitly, seems to observe or question the interest of many works today (or yesterday) in the light of an eccentric fiction, is profoundly heartening. It tells us that our natural inclination is to be the prisoners of a present that numbs and blocks thought, creation and life. Chao Liang offers us a vision that is at once rare and universal and exhorts us to make an effort. Arnaud Petit (18 April 2016)